"L'Art Effaré"

Opéra inachevé de Georges Perec

 

« Georges Perec avait le projet d’un Opéra dont le livret aurait été bâti sur les syllabes  DO  RÉ  MI  LA  SI, la partition n’utilisant que ces cinq notes en concordance avec les syllabes du texte. Il aurait suffi de la solfier pour avoir en même temps musique et paroles »
Bernard Magné in Les cahiers de l’Ircam - Musique et texte – 1994.

Selon Philippe Drogoz, ami et complice musical de Georges Perec, ce projet a vu le jour en 1969.
La contrainte utilisée par G Perec, c’est  la solmisation inversée qui  consiste à intégrer dans un texte des syllabes pouvant correspondre par homophonie à des noms de notes.
Le propos de Georges Perec était audacieux s’attaquant à un genre musical et littéraire au répertoire historiquement immense, jalonné de chef- d’oeuvres et très fortement codé. Mais c’est incontestablement ce défi oulipien  qui en faisait l’originalité, l’intérêt et le génie.

En 2017 après mûre réflexion,  l’Ousonmupo saute le pas et décide d’en réaliser une version,  la première à notre connaissance.
Se pose alors pour nous la question incontournable du rapport Texte / Musique ! La mise en musique d’un  texte/livret  a, depuis la nuit des temps ou à tout le moins depuis l’apparition de ce genre musical, ouvert d’infinis  débats toujours actuels sur la relation texte / musique. Une cohésion entre texte et musique ou plus particulièrement l’idée qu’une musique pourrait être l’expression absolue et unique,sorte de transsubstantiation de la matière textuelle est illusoire !

Cinq compositeurs de l’Ousonmupo se sont partagés le « livret », chacun composant la ou les séquences choisies. Il ne s’agit donc pas d’une œuvre « collective » au sens habituel du terme, où les acteurs de la composition sont en quelque sorte dilués dans l’œuvre, donc difficilement repérables, mais bien plutôt d’une œuvre composite, révélant l’auteur des séquences, qui à découvert assume totalement ses choix compositionnels.
Chaque séquence est ainsi caractérisée. Ces caractérisations stylistiques qui vont du récitatif au tragique, en passant par le clin d’œil de la citation ou le pastiche, créent une sorte d’OMNI (objet musical non identifié)  et qui, non dénué d’unité, c’était l’un de nos soucis,  respecte l’esprit perecquien  qui « irrigue » ce livret. De quels « matériel » disposons nous  pour élaborer une version qui respecterait l’esprit de l’auteur. En dehors de la  dramaturgie, de la main même de G P, publiée dans la revue IRCAM en 1994,  seuls subsistent des manuscrits épars, esquisses d’une recherche morphophonétique,  syllabaire à la combinatoire à la fois simple et complexe. Ces documents sont les éléments récurrents  d’une  démarche perecquienne  qui a constitué en amont une arborescence de fiches aux thématiques variées. On peut supputer  que l’abandon du projet les a figées dans une intentionnalité  dramaturgique énigmatique.

Les considérations « sur les mots et les notes »  de Gérard Magné, passionnantes, par la diversité des angles d’analyse et leur développement suggestif, nous confortent dans l’idée d’élaborer une structure formelle ouverte, et confirment certaines constantes perecquiennes, dont entre autres,  l’intermusicalité  évoquée dans ces manuscrits.
Par forme ouverte nous entendons la possibilité d’intégrer au sein de formes libres et de structurations originales, des éléments de formes préexistantes .
Nous y reviendrons plus loin.


La technique musicale employée


Le livret de l’Art Effaré  met en œuvre une contrainte que l’on appelle la « solmisation inversée » :
- la « solmisation habituellement consiste à dire les noms des notes que l’on  solfie  quand on lit une partition.
- la « solmisation inversée » est un procédé littéraire qui consiste à intégrer dans un texte des syllabes pouvant correspondre par homophonie à des noms de notes d'où le fameux exemple DO MI SI LA DO RÉ SI FA SI LA SI RÉ : "domicile adoré si facile à cirer".
Dans sa forme la plus stricte, cette contrainte oblige à n’utiliser aucune syllabe qui ne puisse être prise pour un nom de note. C’est donc en partant de ce principe que Georges Perec va élaborer son texte à partir d’un mode, (une gamme spécifique) de cinq notes :  LA - SI - DO - RÉ - MI.
Ces cinq notes offrent 120 combinaisons possibles.
Enoncées sans aucune proposition de rythme, de timbre, de durée ou de tessiture, les permutations de ces cinq notes, vont engendrer des paroles qui tisseront un texte - un livret - plus ou moins homophonique.
Ici entre en action le plaisir du jeu oulipien associé à la jubilation de tirer quelquefois  les mots par la queue .
Une  histoire apparaît :
« Deux naufragés sont recueillis sur l’ile de Scylla, où règne le roi Emile… » offrant un espace, réceptacle de la virtuosité et l’inventivité de G Perec.


Quelques exemples :
DO LA SI MI RÉ     De la cime miré,
MI  SI LA RÉ DO    missié, là radeau !
DO LA MI RÉ SI     Dol à mire ! Est-ce
SI  RÉ DO LA MI    ici radeau d’ami ?
etc…


Cependant  la nature pentatonique du mode proposé limite fortement les combinaisons mélodiques et harmoniques.  Le risque est la monotonie, ennemie de l'expression musicale.Mais, dans le cahier des charges défini par Georges Perec,  nulle part n’est évoquée l’interdiction de « moduler » ces cinq notes,  c’est à dire de les altérer d’un demi-ton en plus ou en moins,  voire même d’intervalles plus petits.
La pratique de solmisation ne formule pas les accidents (dièze - bémol - bécarre) tout en observant la hauteur altérée : RÉ dièse sera chanté RÉ à la bonne hauteur 1/2 ton plus haut, sans préciser l'altération.
Ainsi le matériau originel se trouve « enrichi, élargi » par cette liberté de moduler chacune de ces 5 notes, tout en respectant le principe et la suppression  lipogrammatique, nous préférons dans cette situation dire lipophonique , du FA et du SOL.
Philippe Drogoz ami très proche de Georges Perec et complice musical a proposé une ouverture par les chœurs décrite dans la revue « Le Fou parle »  N° 21/22 nov/dec 1982. Nous avons grâce à Martial Robert respecté l’esprit de l’Ouverture de l’Art Effaré imaginée par Philippe Drogoz.
Il faut toutefois attirer l’attention sur le fait que le livret n’est pas le fruit intégral de la solmisation inversée.  Environ 30% de celui-ci est en écriture « libre ». Ce qui nous permet pour traiter ces passages,  une plus grande liberté dans la composition.
En revanche nous avons traité les passages  « solmisés » en respectant  strictement la morphophonétique.


Enfin les incrustations de citations musicales - intermusicalité -  souhaitées par G Perec sont, dans l’ordre d’apparition :
Didon et Enée H Purcell – Le veau d’or est toujours debout  Faust - C Gounod – Mimi - La bohème Puccini.


Une bande sonore intervient à certains moments, diffusant les didascalies enregistrées par Jean-Paul Farré que nous remercions à nouveau pour son amicale participation, ainsi que diverses ambiances sonores ou séquences purement électroacoustiques de Marie-Hélène BERNARD, Martial ROBERT et Patrick LENFANT.

Le 20 mai 2017, nous présentons à la Médiathèque Françoise Sagan à Paris dans le cadre d’une journée  G Perec, les extraits composés, sous la forme d’une bande annonce, par analogie avec la bande annonce d’un film.
Les quinze et seize mai 2018 présentation d’une version quasi définitive (il manque les citations d’opéra) au théâtre de la Vieille Grille.

Le 8 juin 2019 création absolue et intégrale au Moulin d’Andé, dans le cadre d’une action Perecquienne à l’initiative de l’Association Georges Perec  autour de « La Disparition ».

Cependant,  progressivement G Perec se détache du projet et abandonne la rédaction du livret.  Dans un article de la Quinzaine Littéraire ( N° 284 de 1970 )  il déplore que « … personne apparemment n’ait pris ce projet suffisamment au sérieux pour qu’il devienne une commande… »

distribution de la création au Moulin d’Andé

Chieko HAYASHI                                 Mezzo Soprano     
Euken OSTOLAZA                              Ténor         
Fréderique SAUVAGE                        Violon alto
Alain SEVE                                           Clarinette / Clarinette Basse         
Joëlle Chaillou-Chouraki                      Piano jouet                
Patrick Lenfant                                      Diffusion des endophonies

 

Remerciements renouvelés à  Mmes Sylvia RICHARDSON et Marianne  SALUDEN qui ont rendu possible cette création .
Un grand merci également à  Mrs Jean Luc Joly et Emmanuel Zwenger  de l’Association G Perec et à  Madame  Lipinska  pour son accueil au Moulin d’Andé..

Le livret de l’Art Effaré a été mis en musique et en sons par le collectif de compositeurs de l’Ousonmupo :
Marie-Hélène Bernard – mARTial ROBert – Patrick Lenfant –Cristian Du Breuil – Alain Sève.